La crise sanitaire partie de Chine liée au coronavirus baptisé Covid 19 vient rappeler aux gestionnaires des systèmes de santé comme à la population de nombreux pays que le contrôle des maladies infectieuses anciennes ou émergentes (1) est toujours une question d’actualité mondiale. Une thématique santé révélant les enjeux de la communication politique et sociale et ceux de l’expertise en démocratie.
Après avoir glorifié la toute puissance médicale supposée et magnifié l’usage des antibiotiques, la réalité des maladies infectieuses est toute autre. Un gain de 10 ans d’espérance de vie humaine a été attribué à l’antibiothérapie humaine et animale, mais l’éradication symbolique de la variole déclarée par l’OMS en 1960 est un cache misère.
Des maladies socialement visibles ou pas
La mondialisation de l’infectiologie est un fait acquit ancien. Les voies terrestres ont historiquement rapproché l’Europe et l’Orient de l’Asie, puis les voies maritimes les infections du nouveau monde et celles de l’ancien. La formule de l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie, « l’unification microbienne du monde » en est le résultat.
Apres la variole, la syphilis, le cholera ou la lèpre, les nouveaux venus émergents ne manquent pas à l’appel. Ebola (1976 Zaïre), Légionnella (1976 Philadelphie) HIV (1978 Californie) ou les épisodes récurrents du virus occidental du Nil (présent en France depuis 1962) en poussées de façon locale ou étendue en dehors de foyers épisodiques ou endémiques mettent au défit les limites et failles des systèmes de santé et maintiennent la crainte de ces infections venues de l’étranger…
Que ce soit le prion de l’encéphalite spongiforme bovine (ESB), le virus grippal H1N1, le SRAS, ou le corona virus actuellement, les instances politiques sont convoquées au devant de la scène médiatique pour établir des scénarii alternativement inquiétants et rassurants. L’Etat protecteur est là.
Ces crises aigues médiatiquement assistées mobilisent moins que les résurgences de la rougeole, la coqueluche ou la tuberculose. Le bruit durable des médias de toute nature met en doute l’utilité de l’extension de l’obligation vaccinale à 10 vaccins portée par la loi de modernisation du système de santé de janvier 2016. Il confirme les obstacles pour conduire une politique vaccinale quand les logiques des méthodes sont méconnues (2).
La communication sociale en situation de crise
Ces mises en tension périodiques nationale ou internationale par l’Organisation Mondiale de la Santé, soulignent les interactions et l’interdépendance de chacun et de tous dans la gestion optimisée et la limitation des risques. Des mesures d’hygiène pertinentes aux mesures symboliques, la médiatisation des vraies et fausses nouvelles amplifie ces phénomènes. C’est la fin de la vision passéiste illusoire des pays riches protégés et des pays pauvres exposés en n’oubliant pas que la pauvreté et la précarité sociale constituent un facteur de complexification réel pour l’identification puis la gestion d’une crise sanitaire. Pour le coronavirus, l’absence de cas déclaré ici ou là ne signifie pas pour autant l’absence de maladie quiescente ou non identifiée.
A chaque fois, pour le SIDA, Ebola, ou le Coronavirus la demande incantatoire de vaccin immédiat apparaît en contradiction avec la montée régulière de la méfiance vaccinale en France. Au-delà de la méconnaissance des faits, en dehors même de la part complot, c’est un symptôme de défiance vis-à-vis des savoirs savants et des diverses autorités et tutelles. Comment répondre de façon transparente aux interrogations légitimes des citoyens ? Comment rendre lisibles et compréhensibles les savoirs d’experts ? (3)
L’appétence du public porte moins sur la vérité scientifique de tel ou tel phénomène que sur la rassurance avec des explications simplistes. Les effets délétères du mensonge d’Etat au sujet du nuage de Tchernobyl n’ayant pas franchi les frontières métropolitaines françaises, se paient toujours aujourd’hui.
La transparence des explications et des sources
De plus en plus souvent les conditions de la diffusion sont posées pour la circulation des vecteurs potentiels animaux ou humains. Les aspects fondamentaux sur les mutations avec saut d’espèce des maladies animales vers l’homme, ou celle du franchissement de la barrière d’espèce avec la transmission et la diffusion des affections concernées restent au second plan.
On rappelle l’extension du périmètre géographique du moustique tigre en France, ou la disponibilité du vaccin contre la dengue. L’inquiétude des femmes enceintes et le risque ZIKA de microcéphalie des nouveaux-nés participent à l’inquiétude collective.
La résistance aux antibiotiques, aux antiviraux ou aux antipaludéens, est devenue un sujet largement médiatisé. Les changements climatiques (4) modifient les conditions de vie et de développement des écosystèmes de nombre d’espèces. L’épidémiologie des maladies infectieuses et transmissibles est alors un thème de géopolitique et d’économie dans une approche systémique allant du régional au planétaire. Par sa composante sur les évolutions des modes et milieux de vie, la médecine rejoint les analyses du GIEC et les interrogations climatiques. Les manifestations nationales et internationales sur l’écologie et développement durable sont récurrentes dans l’actualité. Avec l’élévation des températures, la remontée du paludisme au nord de l’Europe est attendue.
La pertinence des réponses proposées faces aux risques
La perception des risques et de la dangerosité varie selon les points de vue des acteurs. Sanitaire individuel et collectif, mais simultanément économique, social, géopolitique au plan national et international. Les communications par voie aérienne ont accéléré la diffusion par la circulation des personnes infectées et celles transmises par voie numérique, les informations, peurs et rumeurs.
Les mesures de protection et d’interdiction de circulation soulignent les différences de représentation et de législation entre vision individuelle et vision populationnelle. Les comportements collectifs adaptés sont d’abord l’addition de changements de comportements individuels et l’existence de moyens les rendant possibles qu’ils soient techniques, organisationnels, médiatiques, législatifs et budgétaires. Ce dernier levier est nécessaire mais non suffisant.
Nous ne sommes plus au temps des processions pour nous protéger de la peste ou du mal des ardents, pour nous faire pardonner quelques fautes et éviter la colère et les sanctions d’un dieu. Le registre explicatif punitif et divin de l’origine des maladies n’a pas disparu malgré l’affaiblissement du fait religieux en France, nonobstant l’apparition de nouvelles croyances technologiques et de ses nouveaux prophètes.
Une gestion optimisée… en médecine humaine
Le thème de la prévention des zoonoses dans le milieu de l’élevage agricole suppose une couverture suffisante par des vétérinaires libéraux. Ces derniers ont statutairement un mandat officiel de santé publique. Les crises avec abattage d’élevages, zones de confinement et d’exclusion, fermeture et contrôle des frontières ont souligné ce rôle indispensable pour la sécurité alimentaire et pour les vaccinations des populations animales
La visibilité de la place et du degré de participation effective des médecins généralistes, spécialistes en soins primaires, reste à reconnaître par le Politique dans la gestion de ces crises sanitaires, puis à définir. Les péripéties de l’organisation ambulatoire de la vaccination H1N1 sont une bonne illustration de ce qu’il ne faut plus faire…
Les stratégies en épidémiologie, infectiologie et de gestion organisationnelle de la prévention et prise en charge sanitaire de ce type de crise, empruntent des voies multiples. Les maladies infectieuses à risque épidémique font partie du passé, du présent mais aussi du futur de la santé et de la médecine. Le risque zéro en matière de santé est une illusion.
Ces situations nous obligent à clarifier les risques que l’on court et ceux que l’on prend, pour soi ou pour autrui. Le couple liberté/responsabilité collective et individuelle est invité à des débats avec une forte composante de solidarité et d’intelligence collective (5), c’est-à-dire non artificielle ! La santé des grands nombres ne peut être assumée en excluant l’ambulatoire au risque de disqualification des responsables et surtout de paralysie des autres niveaux de soin en établissements et de tout ou partie de la société.
Les masques recherchés ou portés par des millions de personnes ne sont pas ceux de l’anonymat, et personne ne souhaite se voir reprocher de s’en être « lavé les mains ».
Jean-Luc GALLAIS
Ancien directeur du conseil scientifique de la SFMG
Ces propos n'engagent que l'auteur
Après avoir glorifié la toute puissance médicale supposée et magnifié l’usage des antibiotiques, la réalité des maladies infectieuses est toute autre. Un gain de 10 ans d’espérance de vie humaine a été attribué à l’antibiothérapie humaine et animale, mais l’éradication symbolique de la variole déclarée par l’OMS en 1960 est un cache misère.
Des maladies socialement visibles ou pas
La mondialisation de l’infectiologie est un fait acquit ancien. Les voies terrestres ont historiquement rapproché l’Europe et l’Orient de l’Asie, puis les voies maritimes les infections du nouveau monde et celles de l’ancien. La formule de l’historien Emmanuel Le Roy Ladurie, « l’unification microbienne du monde » en est le résultat.
Apres la variole, la syphilis, le cholera ou la lèpre, les nouveaux venus émergents ne manquent pas à l’appel. Ebola (1976 Zaïre), Légionnella (1976 Philadelphie) HIV (1978 Californie) ou les épisodes récurrents du virus occidental du Nil (présent en France depuis 1962) en poussées de façon locale ou étendue en dehors de foyers épisodiques ou endémiques mettent au défit les limites et failles des systèmes de santé et maintiennent la crainte de ces infections venues de l’étranger…
Que ce soit le prion de l’encéphalite spongiforme bovine (ESB), le virus grippal H1N1, le SRAS, ou le corona virus actuellement, les instances politiques sont convoquées au devant de la scène médiatique pour établir des scénarii alternativement inquiétants et rassurants. L’Etat protecteur est là.
Ces crises aigues médiatiquement assistées mobilisent moins que les résurgences de la rougeole, la coqueluche ou la tuberculose. Le bruit durable des médias de toute nature met en doute l’utilité de l’extension de l’obligation vaccinale à 10 vaccins portée par la loi de modernisation du système de santé de janvier 2016. Il confirme les obstacles pour conduire une politique vaccinale quand les logiques des méthodes sont méconnues (2).
La communication sociale en situation de crise
Ces mises en tension périodiques nationale ou internationale par l’Organisation Mondiale de la Santé, soulignent les interactions et l’interdépendance de chacun et de tous dans la gestion optimisée et la limitation des risques. Des mesures d’hygiène pertinentes aux mesures symboliques, la médiatisation des vraies et fausses nouvelles amplifie ces phénomènes. C’est la fin de la vision passéiste illusoire des pays riches protégés et des pays pauvres exposés en n’oubliant pas que la pauvreté et la précarité sociale constituent un facteur de complexification réel pour l’identification puis la gestion d’une crise sanitaire. Pour le coronavirus, l’absence de cas déclaré ici ou là ne signifie pas pour autant l’absence de maladie quiescente ou non identifiée.
A chaque fois, pour le SIDA, Ebola, ou le Coronavirus la demande incantatoire de vaccin immédiat apparaît en contradiction avec la montée régulière de la méfiance vaccinale en France. Au-delà de la méconnaissance des faits, en dehors même de la part complot, c’est un symptôme de défiance vis-à-vis des savoirs savants et des diverses autorités et tutelles. Comment répondre de façon transparente aux interrogations légitimes des citoyens ? Comment rendre lisibles et compréhensibles les savoirs d’experts ? (3)
L’appétence du public porte moins sur la vérité scientifique de tel ou tel phénomène que sur la rassurance avec des explications simplistes. Les effets délétères du mensonge d’Etat au sujet du nuage de Tchernobyl n’ayant pas franchi les frontières métropolitaines françaises, se paient toujours aujourd’hui.
La transparence des explications et des sources
De plus en plus souvent les conditions de la diffusion sont posées pour la circulation des vecteurs potentiels animaux ou humains. Les aspects fondamentaux sur les mutations avec saut d’espèce des maladies animales vers l’homme, ou celle du franchissement de la barrière d’espèce avec la transmission et la diffusion des affections concernées restent au second plan.
On rappelle l’extension du périmètre géographique du moustique tigre en France, ou la disponibilité du vaccin contre la dengue. L’inquiétude des femmes enceintes et le risque ZIKA de microcéphalie des nouveaux-nés participent à l’inquiétude collective.
La résistance aux antibiotiques, aux antiviraux ou aux antipaludéens, est devenue un sujet largement médiatisé. Les changements climatiques (4) modifient les conditions de vie et de développement des écosystèmes de nombre d’espèces. L’épidémiologie des maladies infectieuses et transmissibles est alors un thème de géopolitique et d’économie dans une approche systémique allant du régional au planétaire. Par sa composante sur les évolutions des modes et milieux de vie, la médecine rejoint les analyses du GIEC et les interrogations climatiques. Les manifestations nationales et internationales sur l’écologie et développement durable sont récurrentes dans l’actualité. Avec l’élévation des températures, la remontée du paludisme au nord de l’Europe est attendue.
La pertinence des réponses proposées faces aux risques
La perception des risques et de la dangerosité varie selon les points de vue des acteurs. Sanitaire individuel et collectif, mais simultanément économique, social, géopolitique au plan national et international. Les communications par voie aérienne ont accéléré la diffusion par la circulation des personnes infectées et celles transmises par voie numérique, les informations, peurs et rumeurs.
Les mesures de protection et d’interdiction de circulation soulignent les différences de représentation et de législation entre vision individuelle et vision populationnelle. Les comportements collectifs adaptés sont d’abord l’addition de changements de comportements individuels et l’existence de moyens les rendant possibles qu’ils soient techniques, organisationnels, médiatiques, législatifs et budgétaires. Ce dernier levier est nécessaire mais non suffisant.
Nous ne sommes plus au temps des processions pour nous protéger de la peste ou du mal des ardents, pour nous faire pardonner quelques fautes et éviter la colère et les sanctions d’un dieu. Le registre explicatif punitif et divin de l’origine des maladies n’a pas disparu malgré l’affaiblissement du fait religieux en France, nonobstant l’apparition de nouvelles croyances technologiques et de ses nouveaux prophètes.
Une gestion optimisée… en médecine humaine
Le thème de la prévention des zoonoses dans le milieu de l’élevage agricole suppose une couverture suffisante par des vétérinaires libéraux. Ces derniers ont statutairement un mandat officiel de santé publique. Les crises avec abattage d’élevages, zones de confinement et d’exclusion, fermeture et contrôle des frontières ont souligné ce rôle indispensable pour la sécurité alimentaire et pour les vaccinations des populations animales
La visibilité de la place et du degré de participation effective des médecins généralistes, spécialistes en soins primaires, reste à reconnaître par le Politique dans la gestion de ces crises sanitaires, puis à définir. Les péripéties de l’organisation ambulatoire de la vaccination H1N1 sont une bonne illustration de ce qu’il ne faut plus faire…
Les stratégies en épidémiologie, infectiologie et de gestion organisationnelle de la prévention et prise en charge sanitaire de ce type de crise, empruntent des voies multiples. Les maladies infectieuses à risque épidémique font partie du passé, du présent mais aussi du futur de la santé et de la médecine. Le risque zéro en matière de santé est une illusion.
Ces situations nous obligent à clarifier les risques que l’on court et ceux que l’on prend, pour soi ou pour autrui. Le couple liberté/responsabilité collective et individuelle est invité à des débats avec une forte composante de solidarité et d’intelligence collective (5), c’est-à-dire non artificielle ! La santé des grands nombres ne peut être assumée en excluant l’ambulatoire au risque de disqualification des responsables et surtout de paralysie des autres niveaux de soin en établissements et de tout ou partie de la société.
Les masques recherchés ou portés par des millions de personnes ne sont pas ceux de l’anonymat, et personne ne souhaite se voir reprocher de s’en être « lavé les mains ».
Jean-Luc GALLAIS
Ancien directeur du conseil scientifique de la SFMG
Ces propos n'engagent que l'auteur
(1) B.Fantino ; Les maladies émergentes. In Histoire de la pensée médicale contemporaine. Ed du Seuil. 2014 : 291-309
(2) D.Levy-Druhle. Politique vaccinale. In Traité de santé publique. Medecine-Sciences Flammarion, 2004 : 134-145
(3) Expertise et démocratie, faire avec la défiance. Décembre 2018. www.strategie.gouv.fr
(4) F.Vargas. L’humanité en péril. Flammarion, 2019.
(5) La décision publique face aux risques. Commissariat Général au Plan. La Documentation Française, 2002.
(2) D.Levy-Druhle. Politique vaccinale. In Traité de santé publique. Medecine-Sciences Flammarion, 2004 : 134-145
(3) Expertise et démocratie, faire avec la défiance. Décembre 2018. www.strategie.gouv.fr
(4) F.Vargas. L’humanité en péril. Flammarion, 2019.
(5) La décision publique face aux risques. Commissariat Général au Plan. La Documentation Française, 2002.