Arabe, Farsi, Pachtoun, Kurde avec 3 dialectes différents (Kurmandji, Zaza, et Sorani), Amharik, Tigrina, Ourdou, Dari… Anglais. Oh là là, je ne suis pas polyglotte !
Trouver des traducteurs n’est pas une simple affaire. L’arabe, le farsi c’est bon, nous avons des traducteurs. Mais aujourd’hui 80% des consultants sont Kurdes et ne parlent que des dialectes kurdes ! Pas d’interprète, zut… Ah, tiens cet homme kurde parle un peu l’anglais. Mais à son attitude autoritaire envers les autres… est-ce un passeur ? Puis-je accepter sa proposition de traduire ? Non, je ne supporte pas la traite humaine… et en plus il ne se livrera pas devant le passeur. De toute façon la parole ne sera pas aisée. Je vais m’en passer, l’infirmier au tri a bien réussi à lui faire dire ses plaintes. Bon j’utilise mes notes avec des phrases toutes prêtes écrites phonétiquement… et puis le langage des signes et des mimes. Ben là alors, pas évident nous n’avons pas la même gestuelle ! Ouf, j’ai compris pour dire non, il met la tête en arrière. Et puis rien de mieux qu’un dessin. En tout cas mon dessin, pour demander s’il a de la diarrhée, l’a bien fait rire. Rire ensemble cela fait du bien. Médicalement pas de problème : pas besoin de mots pour poser le diagnostic de sinusite ou de bronchite. Expliquer le traitement c’est possible mais rudimentaire et que de frustration de ne pas pouvoir communiquer plus avec lui. Et pour lui ? En partant il me prend les mains, me regarde droit dans les yeux et en français me dit... Merci !
Chic aujourd’hui l’interprète Kurde est arrivé. Eh bien encore plus frustrant pour moi. Le colloque singulier se fait à trois. Je suis reléguée dans la technique pure. Pour décrire sa douleur ce patient montre son cou, parle, fait des gestes, des grimaces, des mimes pendant 5 minutes. La traduction elle, prendra 2 secondes : il a mal au cou. Ça j’avais compris.
Ici, les méthodes de conduites d'entretien, les techniques de reformulation etc… ne me servent pas à grand-chose. Il me faudra cadrer l’interprète pour qu’il pose les questions précises dont j’ai besoin, m’assurer qu’il traduise précisément mes explications. Dans toutes ces diverses cultures, avec leurs différentes représentations du corps et de la maladie, je retrouve les mêmes demandes. Le sirop miracle qui coupera instantanément la toux (important… pour ne pas se faire repérer dans le camion qu'il espère prendre pour passer en Angleterre), le médicament superpuissant qui guérira sa sciatique aujourd’hui, car cette nuit il compte bien retenter d’escalader les grillages (3 à 4 mètres de haut).
Et puis, il y a ces moments où le migrant me laisse entrevoir la personne : à la fin de la consultation, il se retourne et dit : Je m’excuse de sentir si mauvais. C’est vrai dans ce camp de Grande Synthe près de Dunkerque, où je viens d'arriver, je retrouve la même odeur que dans la jungle de Calais. Ici, deux points d’eau en plein air pour 2000 migrants ! Les douches ne fonctionnent plus depuis un mois, pas de laverie…
Quel que soit son point de vue sur l'immigration, comment ne pas s'indigner qu'ici, en France, les conditions d'accueil de ces personnes ne respectent même pas les normes minimales de l'ONU pour les camps de réfugiés ?
Elisabeth Griot
Membre titulaire de la SFMG
Ces propos n'engagent que l'auteur
Trouver des traducteurs n’est pas une simple affaire. L’arabe, le farsi c’est bon, nous avons des traducteurs. Mais aujourd’hui 80% des consultants sont Kurdes et ne parlent que des dialectes kurdes ! Pas d’interprète, zut… Ah, tiens cet homme kurde parle un peu l’anglais. Mais à son attitude autoritaire envers les autres… est-ce un passeur ? Puis-je accepter sa proposition de traduire ? Non, je ne supporte pas la traite humaine… et en plus il ne se livrera pas devant le passeur. De toute façon la parole ne sera pas aisée. Je vais m’en passer, l’infirmier au tri a bien réussi à lui faire dire ses plaintes. Bon j’utilise mes notes avec des phrases toutes prêtes écrites phonétiquement… et puis le langage des signes et des mimes. Ben là alors, pas évident nous n’avons pas la même gestuelle ! Ouf, j’ai compris pour dire non, il met la tête en arrière. Et puis rien de mieux qu’un dessin. En tout cas mon dessin, pour demander s’il a de la diarrhée, l’a bien fait rire. Rire ensemble cela fait du bien. Médicalement pas de problème : pas besoin de mots pour poser le diagnostic de sinusite ou de bronchite. Expliquer le traitement c’est possible mais rudimentaire et que de frustration de ne pas pouvoir communiquer plus avec lui. Et pour lui ? En partant il me prend les mains, me regarde droit dans les yeux et en français me dit... Merci !
Chic aujourd’hui l’interprète Kurde est arrivé. Eh bien encore plus frustrant pour moi. Le colloque singulier se fait à trois. Je suis reléguée dans la technique pure. Pour décrire sa douleur ce patient montre son cou, parle, fait des gestes, des grimaces, des mimes pendant 5 minutes. La traduction elle, prendra 2 secondes : il a mal au cou. Ça j’avais compris.
Ici, les méthodes de conduites d'entretien, les techniques de reformulation etc… ne me servent pas à grand-chose. Il me faudra cadrer l’interprète pour qu’il pose les questions précises dont j’ai besoin, m’assurer qu’il traduise précisément mes explications. Dans toutes ces diverses cultures, avec leurs différentes représentations du corps et de la maladie, je retrouve les mêmes demandes. Le sirop miracle qui coupera instantanément la toux (important… pour ne pas se faire repérer dans le camion qu'il espère prendre pour passer en Angleterre), le médicament superpuissant qui guérira sa sciatique aujourd’hui, car cette nuit il compte bien retenter d’escalader les grillages (3 à 4 mètres de haut).
Et puis, il y a ces moments où le migrant me laisse entrevoir la personne : à la fin de la consultation, il se retourne et dit : Je m’excuse de sentir si mauvais. C’est vrai dans ce camp de Grande Synthe près de Dunkerque, où je viens d'arriver, je retrouve la même odeur que dans la jungle de Calais. Ici, deux points d’eau en plein air pour 2000 migrants ! Les douches ne fonctionnent plus depuis un mois, pas de laverie…
Quel que soit son point de vue sur l'immigration, comment ne pas s'indigner qu'ici, en France, les conditions d'accueil de ces personnes ne respectent même pas les normes minimales de l'ONU pour les camps de réfugiés ?
Elisabeth Griot
Membre titulaire de la SFMG
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Nizar Ali Badr